Je ne peux pas croire qu’en 2023…
Partons du principe que le but de l’école est d’outiller les jeunes pour la vraie vie. À une certaine époque, il aurait été jugé irresponsable de ne pas enseigner aux jeunes à monter à cheval et à se battre avec une épée. La réalité de l’époque l’exigeait. Pourtant aujourd’hui, ces habiletés sont devenues des sports (courses de chevaux, escrime). Cet exemple est tiré de Future learning : Mini Documentary. Il doit être difficile de constater à quel moment une habileté devient désuète. Je me demande combien de temps une prise de conscience comme celle-là peut prendre à une société.
Aujourd’hui, il est raisonnable d’affirmer qu’internet, le numérique, et l’intelligence artificielle ont refaçonné notre société, et ce n’est pas fini, ce n’est qu’un début (j’entends la toune…). Dans l’école d’aujourd’hui, il serait donc jugé irresponsable de ne pas enseigner… (remplir le tiret) aux jeunes. La réalité d’aujourd’hui exige… (remplir le tiret). Je ne peux pas croire qu’en 2023… (remplir le tiret en tenant compte de votre perception de la réalité).
Défendre l’école d’hier? ou Créer l’école d’aujourd’hui?
Le numérique fait son chemin et nous constatons toutes sortes d’usages du numérique. Voici un exemple : le plan de travail. Une personne habile avec le numérique peut facilement placer les jeunes dans une cage numérique de laquelle ils ne peuvent pas s’échapper. Accès contrôlé par l’enseignant, parents notifiés automatiquement par Classroom en fin de journée, historique des révisions… Contrôle et automatisation. Le sens de la présence scolaire peut alors devenir : je viens à l’école faire le travail. Le jeune a des choix mais il est encore isolé et produit, au rythme choisi par son enseignant, qui a toujours un prochain travail à lui assigner. Et c’est pas fini, ce n’est qu’un début… Le jeune aussi, entend la toune.
Il n’y a rien de mal avec le plan de travail.
Or la raison d’être de l’éducation est de propulser l’être. Certains utilisent le plan de travail dans une approche globale conçue pour développer les jeunes. Discussions et présentations de groupe, enseignement explicite, expériences authentiques, projets personnels et coaching, plan de travail, décloisonnement… font partie d’un design pédagogique conçu pour propulser l’être.
«La raison d’être de l’éducation est de propulser l’être. » – Marius Bourgeoys
Revenons à la réalité. Celle des jeunes et la nôtre. Max Depree affirme ceci : « La première responsabilité d’un leader est de définir la réalité. » À quoi ressemble la réalité que nous offrons aux jeunes à l’école présentement.
Sommes-nous en train de défendre l’école d’hier? ou Sommes-nous en train de créer l’école d’aujourd’hui?
Il n’y a pas juste des requins dans l’océan.
Mon parcours avec le numérique me ramène toujours à l’humain. Le numérique est un levier, un accélérateur. Le numérique qui augmente l’humain, ce n’est pas automatique. Ça prend un pilote dans l’humain. Et c’est ce pilote qu’on veut installer à l’intérieur des humains qui nous sont confiés dans l’école d’aujourd’hui. Si seulement ce pilote pouvait être téléversé/installé à distance… Il y a des choses qu’on ne peut pas confier au numérique. Comme de vivre sa vie, de ressentir, d’entrer en relation avec d’autres, de s’essayer, d’être l’entrepreneur de sa vie, de se réaliser, d’apprendre à devenir, dans la vraie vie, d’aujourd’hui, pas celle de 1987. Même si on ressent possiblement une connexion plus profonde à cette époque, où la vie semblait, peut-être, plus simple et que l’école, c’était pas si compliqué. Le numérique n’a pas que du positif. Et il n’y a pas juste des requins dans l’océan, non plus.
« Le numérique augmente l’humain. » – Alexandra Coutlée (selon mes sources)
En toute humilité, voici 21 incontournables du leader pédagonumérique. Vous constaterez qu’ils sont très humains. Ils sont le fruit d’une intégration réussie du numérique, selon mon expérience. Je me suis arrêté à 21. Je trouvais que 83, c’était moins attrayant 😉
1. Être en apprentissage : Comment pouvons-nous espérer outiller et accompagner les jeunes qui nous sont confiés si nous ne sommes pas nous-mêmes dans la game de l’apprentissage? LE préalable pour oeuvrer en éducation, c’est d’avoir une posture d’apprenant et d’être en apprentissage au quotidien. Ce qui est sous-entendu ici, c’est qu’on ne peut pas tout savoir. Quel cerveau peut rivaliser avec Google, YouTube et ChatGPT (par exemple)? Laissons tomber le poids qui vient avec la nécessité de tout savoir, expirons… et soyons des apprenants. C’est suffisant. Vous êtes suffisants.
2. Être au service de l’autre : Le but de notre présence est d’aider l’autre (le collègue, l’élève, le parent…) à développer son pilote intérieur. Or nous avons tellement besoin de choses de l’autre pour nous acquitter de nos responsabilités. Besoin de son attention, besoin de son travail remis à temps, besoin de son adhésion au projet de l’école, besoin de son obéissance, besoin de son engagement… Comment ce que nous faisons présentement est-il au service de l’autre?
3. Être un modèle d’intégrité pédagonumérique : À quoi ressemble le profil de l’humain qui possède ce pilote intérieur? Où en sommes-nous par rapport à ce profil? On enseigne ce qu’on sait mais on reproduit qui on est. Les jeunes apprennent beaucoup en observant les adultes autour d’eux. N’exigeons pas des jeunes ce que nous ne faisons pas nous-mêmes. Des idées vous viennent à l’esprit?
4. Être à l’écoute : Lorsque nous parlons, nous répétons ce que nous savons déjà. Lorsque nous écoutons, nous avons la chance d’en apprendre au sujet de l’autre, de ce qu’il pense, de qui il est… Pour être à l’écoute, il faut s’intéresser à l’autre et lui poser des questions. Comment ça va? est un excellent point de départ pour bâtir des relations solides. On obtient seulement les réponses aux questions qu’on pose. Quelles autres questions vous viennent à l’esprit?
5. Pédagogie axée sur le développement de la personne (et non sur le classement des personnes) : Pour propulser l’être, il faut un design pédagogique, des stratégies et une approche. Lorsqu’on se dit que l’éducation n’est pas là pour classer les jeunes qui nous sont confiés, il y a des choses qu’on fait autrement. Par exemple, on sépare le comportement et le rendement. Le quiz du vendredi devient formatif. On amène les jeunes à se comparer à une norme de qualité qu’ils peuvent tous atteindre avec de l’effort, des stratégies et de l’aide… Le numérique offre tellement d’opportunités qui rendent possible une telle pédagogie. Qu’est-ce qui changerait dans votre milieu si vous décidiez sérieusement d’adopter une pédagogie axée sur le développement de la personne?
6. Moins de contenu, plus de profondeur et de pertinence : La gestion du désengagement exige tellement d’énergie en éducation. Pour installer le pilote dont il est question, les jeunes doivent aller en profondeur. Le but étant d’amener les jeunes à s’engager, à croire en eux, à découvrir tout ce dont ils sont capables. La pédagogie axée sur le développement de la personne exige une amélioration marquée de la relation entre les adultes et les jeunes. Pour qu’un jeune accepte d’aller en profondeur, pour qu’il accepte d’améliorer la qualité d’une même tâche, ça prend une relation de confiance, un design pédagogique qui a du sens et la tâche doit être pertinente aux yeux du jeune. Le numérique offre un univers de possibilités pour augmenter la pertinence de la présence scolaire. Si vous aviez l’âge de vos élèves, en quoi l’expérience scolaire que vous leur offrez serait-elle pertinente à vos yeux?
7. Explorer l’IA et les usages du numérique : Chaque jour où vous ne vous intéressez pas à l’IA ou au numérique, vous prenez du retard. C’est impossible de tout savoir et on ne sait pas ce qu’on ne sait pas. On ne peut pas profiter des avantages du numérique sans explorer les possibilités que nous offre le numérique. Et il n’y a pas de fin. Ma suggestion : n’attendez pas la formation. Vous avez accès à internet? Go!
« Chaque jour où vous ne vous intéressez pas à l’IA ou au numérique, vous prenez du retard. » – Marius Bourgeoys
8. Penser verbes (intentions) plutôt que noms (pitons) : Les outils numériques (noms) changent et évoluent. Ce qui compte, ce sont nos intentions pédagogiques (verbes). Voici quelques verbes intéressants qui me viennent à l’esprit : transformer, systématiser, automatiser, écouter, regarder, personnaliser, se cloner, communiquer, organiser, analyser, créer, réfléchir, décider, vérifier, discuter, valider, lire le contexte ou la situation de communication, programmer… On choisit les verbes pour concevoir l’expérience d’apprentissage. Ensuite, on choisit les noms (outils) qui peuvent propulser notre pédagogie. Quels verbes reflètent le mieux votre pédagogie présentement du point de vue de l’élève?
9. Réseauter : L’éducation est un sport d’équipe. L’isolement est un choix qu’on fait. Se créer un réseau est un incontournable dans le monde d’aujourd’hui. Cela exige une présence en ligne. Avoir une présence en ligne augmente notre pertinence et notre crédibilité aux yeux des jeunes. Ils savent assez vite qui ils peuvent aller voir (ou non) concernant des situations ou des enjeux médias-sociaux qu’ils vivent. Si vous ne le faites pas pour vous, je vous invite à le faire pour les jeunes. « Yé ben fin M. Bourgeoys, on reste poli avec lui mais il n’a aucune idée de ce que c’est que d’être un jeune en 2023.» Je ne veux pas ça pour moi, ni pour vous. Présentement, on interdit aux adultes certaines plateformes jugées inappropriées mais les jeunes, eux, les fréquentent. Hmmm. Qu’est-ce que ça communique? Comment pouvons-nous être au service des jeunes (no 2), si nous ne sommes pas présents dans le numérique, ne serait-ce que pour comprendre leur réalité et les accompagner?
« Présentement, on interdit aux adultes certaines plateformes jugées inappropriées mais les jeunes, eux, les fréquentent. Hmmm. Qu’est-ce que ça communique? » – Marius Bourgeoys
10. S’indigner et créer l’urgence d’agir pour nos jeunes : J’ai pris cette idée de Federico Puebla, fondateur de Créativité Québec, que j’ai reçu à Tout le monde est un leader. Vous pouvez écouter l’épisode ici. La vérité, c’est que personne ne viendra cogner à votre porte pour vous dire qu’il est temps d’agir pour nos jeunes. Ça demande de se laisser émouvoir par l’histoire de chaque jeune. S’indigner, c’est personnel, c’est dans les tripes. C’est un choix que vous devez faire personnellement, et ensuite en équipe. Qu’est-ce qui pourrait créer l’urgence d’agir maintenant pour que nos jeunes soient propulsés dans leur projet de vie avec tout ce qu’ils sont, parce qu’ils sont passés chez nous?
11. Créer les conditions : Pour que ça change, il faut créer les conditions. Il faut prendre du temps à l’horaire, ouvrir le dialogue, créer un climat de confiance, mettre nos idées sur la table et trouver des solutions créatives, à l’intérieur de la boîte. Comment pourrions-nous créer les conditions?
12. Valoriser la diversité : Pour que ça change, il faut valoriser la diversité des opinions, la diversité des parcours, la diversité des formes d’intelligence, la diversité dans le potentiel de chacun, bref, la diversité dans les différentes formes que peut prendre la «réussite». Le numérique nous permet de personnaliser l’éducation. Ça n’a pas de sens de personnaliser l’éducation, et de standardiser la réussite. Comment pourrions-nous élargir notre conception de la réussite?
« Ça n’a pas de sens de personnaliser l’éducation, et de standardiser la réussite. » – Marius Bourgeoys
13. Planifier qu’on va s’ajuster : La transformation dont il est question ne se fait pas en ligne droite. Il ne faut donc pas tomber en amour avec le plan, mais bien avec ce qu’on vise. Voici une question importante à se poser individuellement et en équipe. Elle est remplie d’amour. Comment réagissons-nous habituellement lorsque les jeunes nous offrent des évidences que nous ne sommes pas en contrôle?
14. S’enlever du chemin, donner une voix et favoriser l’agentivité : Pour que les jeunes apprennent à prendre de bonnes décisions, il faut leur laisser prendre des décisions et les accompagner. Pour que les jeunes disent ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent, on doit s’intéresser à eux et leur donner une voix. Les adultes dans leur vie sont tellement tous occupés. Qui prend le temps de les écouter présentement? Pour que les jeunes soient outillés pour contribuer au monde d’aujourd’hui, il faut donner une place à leurs projets et les amener à développer leur agentivité, leur pilote intérieur. Sommes-nous prêts à lâcher prise, à nous enlever du chemin, à voir et à tolérer ce dont sont réellement capables les jeunes qui nous sont confiés? Sommes-nous prêts à regarder la réalité en face? Le chemin le plus court entre où nous sommes en éducation et où nous souhaitons aller, c’est la vérité.
15. Laisser les meilleures idées gagner : Celle-là aussi vient de Federico Puebla. En équipe, on brasse les idées, pas les personnes. Et on laisse notre ego à la porte. Comment pourrions-nous faire en sorte que les meilleures idées gagnent en éducation?
16. Documenter le processus : Dans une pédagogie axée sur le développement de personnes, on documente (portfolio) le processus d’apprentissage des jeunes dans un portfolio de progression (pas de performance). De la même façon, il importe de documenter le processus qui mène à la transformation de l’expérience d’apprentissage des jeunes. Cela permet de voir la progression dans les questions, les actions, les pistes de solution, les apprentissages… qui sont faits en cours de route. Cela rend concrète la transformation, met en lumière l’importance du travail d’équipe et, j’ose dire, cultive l’efficacité collective.
17. Laisser l’échec être l’enseignant : Nous savons que le déploiement du plan ne se fera pas en ligne droite. L’échec, la confusion, l’ambiguïté, la quête de sens… feront partie du processus… d’apprentissage. Par exemple, si un groupe d’enseignants expérimente avec la robotique, disons avec le Bee-Bot, et que la leçon ou l’expérience ne se déroule comme prévu, allons-nous dire : «On s’est planté ben raide ce matin. On est poche en robotique»? ou «Wow! Ça ne s’est pas passé comme nous l’avions anticipé. Nous sommes en train de bâtir notre compétence en robotique pédagogique. Qu’avons-nous appris de cette expérience. »? Vous entendez la différence? Comment pouvons-nous amener les jeunes à apprendre de leurs échecs si nous voyons nos échecs comme des preuves de notre incompétence plutôt que comme des occasions d’apprentissage?
18. Valoriser la curiosité plus que la connaissance : On veut des certitudes en éducation. Il faut que ça marche. Or n’est-ce pas arrogant de penser qu’on sait tout ce qu’il y a à savoir au sujet de l’éducation de nos élèves, de ce qui est bon et utile pour eux dans le monde d’aujourd’hui? Les connaissances (matières scolaires et pédagogie) et l’enseignement explicite de celles-ci sont indispensables, à mon avis. Or ce n’est pas tout et mon invitation est la suivante : Soyons curieux. Lorsque nous sommes curieux, cela signifie que nous voulons savoir quelque chose. Si nous voulons savoir quelque chose, c’est que nous ne le savons pas. Être à l’aise avec l’idée de ne pas savoir quelque chose, c’est ce qui nous permet d’activer notre curiosité. Pour ma part, je suis curieux d’en savoir plus au sujet du potentiel à découvrir qui se cache à l’intérieur de chaque personne que je rencontre. Je suis curieux d’apprendre jusqu’où nous pouvons aller en pédagogie et en travail d’équipe en éducation. Si un danger guette le progrès de l’éducation, ce n’est pas tant l’IA, mais le manque de curiosité. Autre question remplie d’amour : Comment une personne peut-elle penser être qualifiée pour oeuvrer en éducation, pour être au service des jeunes en 2023, si cette personne n’est pas, à la base, curieuse?
« Être à l’aise avec l’idée de ne pas savoir quelque chose, c’est ce qui nous permet d’activer notre curiosité. » – Marius Bourgeoys
19. Garder le cap : Dès qu’on s’indigne et qu’on s’engage à agir pour nos jeunes, il faut garder le cap et se souvenir des raisons qui nous ont motivés au départ. On s’assure ensuite de choisir intentionnellement les habitudes quotidiennes qui sont alignées avec nos objectifs. Qu’avez-vous le goût de viser pour les jeunes qui vous sont confiés présentement? Quelles habitudes quotidiennes, quelles stratégies vous permettraient de progresser de façon constante? Cohérence et constance.
20. SE évaluer, SE mobiliser, SE transformer : La seule personne à l’intérieur de votre zone de contrôle, c’est vous. SE, c’est puissant. Ça veut dire qu’on regarde la source de notre pouvoir d’action. Si on veut que ça change, on peut changer. On SE évalue, on regarde où on est présentement par rapport à ce qu’on souhaite offrir aux jeunes et on SE mobilise. En 2017, j’ai écrit La transformation, ça commence EN vous! Pour transformer l’éducation, on SE transforme soi-même. On transforme sa pratique, sa posture, son approche, son regard sur l’autre… Où en êtes-vous présentement? Sur quel aspect de votre pratique êtes-vous en train de travailler?
21. Avoir confiance que nos pieds savent où aller : Je crois en l’idée que nous avons tous en nous une intelligence universelle, une petite voix, une sagesse, une conscience. Je vous laisse choisir comment la nommer. Pensez à toutes les occasions dans votre vie, personnelle et professionnelle, où une situation imprévue s’est présentée à vous et que vous deviez intervenir. Quand le moment se présente, quand le besoin d’agir s’annonce, on fait quelque chose. Si vous lisez ce billet, c’est que vous êtes toujours là. En matière de leadership pédagonumérique, comme dans la vie, on ne peut pas tout prévoir. On voit pas toujours clairement nos 37 prochains pas. Or l’éducation est un sport d’équipe, c’est un sport humain et vous n’êtes pas seuls. Je vous invite à considérer la question suivante : Quel pourrait être mon plus petit prochain pas en matière de leadership pédagonumérique? Faites-vous confiance. Vos pieds savent où aller.
En conclusion, comme le disait Paulo Coelho : « Les bateaux sont en sécurité dans le calme d’un port mais ce n’est pas pour cela qu’ils ont été construits. »
Les jeunes ne passeront pas leur vie à l’école. À nous de faire en sorte qu’ils soient outillés pour leur vie.
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