On fait quoi avec le prochain bulletin?

On travaille fort en éducation. C’est connu. Mais je pense qu’on n’a jamais travaillé aussi fort que cette année. Le bulletin de janvier arrive bientôt. On pourrait penser que c’est un bulletin comme les autres. Mais il faut être prudent je pense. Voici pourquoi.

Une année de progrès

En regardant le chemin parcouru cette année, il est raisonnable d’affirmer que tous les acteurs en éducation ont été sortis de leur zone de confort. Pas par choix mais c’est du jamais vu. Tout le monde était déstabilisé en même temps. Pensez-y. Or il n’y a jamais eu autant de progrès que cette année dans le monde de l’éducation. On n’a qu’à penser à tout ce qui a été accompli sur le plan du numérique. Certains disent qu’on a fait en quelques mois dix ans de progrès au niveau de l’intégration du numérique. On a quand même réussi à basculer au numérique en 24 heures dans plusieurs milieux. Ce n’est pas rien quand on pense à tout ce que ça implique aussi de notre part pour que les familles y aient accès. D’autres affirment que la collaboration entre collègues n’a jamais été aussi présente. Il n’y a pas de manuel pour gérer une pandémie. C’est une bonne chose : il a fallu se parler et réfléchir ensemble. Tous les efforts déployés nous permettent d’être là où nous en sommes présentement. C’est extraordinaire. Avez-vous pris le temps de célébrer le chemin parcouru avec votre équipe, vos collègues, vos élèves, votre communauté scolaire?

La gestion sanitaire change la réalité

Enseigner est une tâche complexe qui exige certaines aptitudes de gestion. Habituellement, on parle de trois piliers en particulier.

La gestion du programme | La gestion de classe | La gestion des apprentissages

C’est ça la job, comme on dit. Dans le contexte actuel, on y ajoute la gestion sanitaire. Un quatrième pilier. Qu’on gère tous pour la première fois. Autre détail. Les directives changent fréquemment.

Voici quelques réalités qui en découlent :

  • Plusieurs n’ont pas réellement eu de vacances cet été parce qu’ils devaient préparer DES scénarios pour la rentrée.
  • Plusieurs ont passé l’été anxieux de vivre une rentrée scolaire différente. L’inconnu fait peur.
  • Le premier mois, nous apprenons tous à gérer le quatrième pilier : la gestion sanitaire.
  • Le premier mois, on gère aussi le programme, la classe et les apprentissages. Tsé. La job.
  • Dans tous les milieux, on accueille les élèves et on essaie de créer un sentiment d’appartenance et une proximité avec les élèves, parce qu’on sait que tout passe par les relations. Mais tout le monde est à 2 mètres.
  • Chez les plus jeunes, on tente aussi de donner un sens à toutes les procédures. Je ne dis pas NOUVELLES procédures. Pensez aux élèves qui ont commencé leur parcours scolaire cette année.
  • Dans certains milieux, les élèves passent beaucoup de temps au même endroit, avec les mêmes personnes. Jour après jour. On découvre le concept des bulles.
  • Dans certains milieux, tout le monde porte un masque et même une visière (adultes).
  • Dans certains milieux, on voit nos élèves 1 jour sur 2 en personne.
  • Dans certains milieux, on voit nos élèves à distance seulement.
  • Dans certains milieux, les profs enseignent à des élèves en personne et à distance en même temps. Vous avez bien lu.
  • Plus on avance, plus on a l’impression d’avoir pris du retard. Le programme…
  • Dans plusieurs milieux, les élèves produisent des travaux et sont évalués à un rythme inhabituel. Il n’est pas rare que les élèves passent 2, 3 et même 4 évaluations le même jour. Les élèves ont-ils réellement le temps d’apprendre présentement? La question se pose. Mais il faut que ça avance…
  • Plus on avance, plus on revient à l’apprentissage et plus on se pose des questions sur l’évaluation. Notre intuition nous parle. Va-t-on l’écouter un jour?
  • Plusieurs parents, eux, se demandent comment appuyer l’école et leur enfant dans ce nouveau contexte.

Quand je relis ces 15 énoncés, je me pose cette question : Quelles pourraient être des attentes raisonnables face aux écoles et aux élèves dans un tel contexte? Si on revenait au mois d’août 2020 et qu’on se posait la question. En autres mots, les résultats actuels (notes, échecs, taux d’assiduité, climat scolaire, santé mentale….) sont-ils inférieurs, égaux ou supérieurs à nos attentes compte tenu du contexte? Nous y reviendrons. Parce que l’année n’est pas terminée. Chose certaine, la gestion sanitaire change la réalité.

Repenser le design

Dans la dernière session de coaching LI-VE, je présentais cette vidéo. Voici trois questions à se poser pendant le visionnement.

  • Comment cette vidéo raconte-t-elle l’histoire des 4 premiers mois de l’année scolaire 2020-2021?
  • Les adultes dans la vidéo représentent qui en éducation?
  • Voyez-vous les élèves?

 

Dans nos écoles, on n’échappe pas du chocolat, on échappe des personnes. Compte tenu des résultats actuels, certains diraient qu’il faut ajouter du personnel autour du convoyeur. C’est une approche. Et si on repensait le design? La pandémie n’a pas changé notre pourquoi. Elle est en train de nous amener à repenser nos comment. Si on n’aime pas les résultats qu’on obtient présentement, on ne changera pas notre pourquoi, on va repenser le design. Qu’est-ce que ça pourrait impliquer dans votre milieu?

Une nouvelle trajectoire

Nous avons emprunté une nouvelle trajectoire l’an passé. Rappelez-vous que les épreuves ministérielles et les examens de fin d’année ont été annulés rapidement. De plus, il a été convenu que les notes des élèves ne pouvaient qu’augmenter. Ça voulait dire qu’on ne ferait pas appel aux stratégies habituelles pour gérer l’engagement (ou le désengagement) des élèves. On a reconnu que la pandémie était une situation exceptionnelle qui ne nous permettrait pas de dispenser une enseignement optimal et qui ne permettrait pas aux élèves de démontrer leur plein potentiel. Il a donc été décidé que cette situation n’allait pas nuire au rendement scolaire de la majorité des élèves.

Cette année, dans certains milieux, il a été convenu qu’il n’y aurait pas d’examens de fin de semestre ou de quadrimestre. Dans d’autres milieux, le premier bulletin a été annulé ou renommé. On se donne le temps d’apprendre. Est-ce que notre design pédagogique permet aux élèves d’apprendre? La cohérence se crée entre les évaluations.

Le prochain bulletin, c’est NOTRE bulletin!

Le bulletin scolaire est un exercice de communication formel entre l’école et la famille (élèves inclus). Le rendement des élèves est le fruit de leurs efforts mais aussi de nos stratégies pédagogiques, du regard qu’on porte sur eux, du climat de classe qu’on réussit à créer. Le bulletin de janvier approche et dans plusieurs milieux, les résultats seront bien différents des années précédentes. Plus d’élèves seront en échec. Certains élèves seront en échec pour une première fois. Certains élèves auront 72% plutôt que leur habituel 85%. Ce sera un bulletin de premières pour plusieurs, pour plusieurs raisons. Chose certaine, les élèves ne sont pas devenus moins intelligents à cause de la pandémie. Le prochain bulletin, c’est notre bulletin. Ce n’est pas le bulletin des élèves. En leadership, c’est ce qu’on fait. Quand ça va mal, on en prend la responsabilité.

Définir la réalité

J’invite donc le système à la prudence. Le système, c’est du monde. Quand on tient compte du contexte actuel et quand on pense à tous les efforts qui ont été déployés, je pense qu’il est important de réfléchir au sens que nous voulons donner aux données et à ce que nous voulons communiquer aux élèves, aux familles et au personnel scolaire en lien avec le bulletin de janvier. Que dit-on aux élèves qui sont en échec ou dont le progrès ou le rendement est inhabituel? Vous êtes moins intelligents que l’an passé? Et au personnel? Vous n’en faites pas assez? La réalité, c’est que c’est plus difficile d’enseigner et d’apprendre ce qui est au programme dans le contexte actuel. Pourtant, il y a eu beaucoup d’apprentissage. Peut-être le système a-t-il appris autant si pas plus que les élèves jusqu’à présent? Or le bulletin est-il conçu pour mesurer ce qui a réellement été appris cette année? Ce n’est pas parce qu’on ne mesure pas que les élèves n’ont pas appris. Et les élèves n’apprennent pas seulement ce qu’on choisit de mesurer. On mesure quoi pendant une pandémie?

La place de la pondération

Dans certains milieux, il y a une certaine pondération des bulletins. On peut comprendre que la pondération d’un bulletin signifie que ça compte. Ça veut dire «Fournis un effort sérieux, le jeune.» J’aborde la question dans «Ça compte-tu?» Dans un sens, ça peut servir de motivation extrinsèque pour les élèves. Mais ça vient avec un risque. Concrètement, cette année en particulier, quels élèves peuvent profiter d’un bulletin de janvier qui vient avec un poids de 50%, par exemple? Ceux qui réussissent déjà bien. Pour les autres, bonne chance. Ce qui pouvait servir de motivation extrinsèque avant le bulletin a l’effet contraire après le bulletin.

Que visons-nous?

Le mode réaction est derrière nous. Ce qui était inconnu est devenu notre quotidien. Nous avons donc l’occasion de réfléchir à ce que nous visons en éducation. Voulons-nous classer ou développer les élèves? Certains bulletins sont conçus pour classer les élèves. La preuve, on considère qu’un élève qui obtient 74% est meilleur qu’un élève qui obtient 72%. Si la note de passage est de 60%, ça veut dire qu’il y a 41 façons différentes de décrire la réussite et 60 façons différentes de décrire l’échec. Pensez-y. Dans un contexte de quantité de bonnes réponses, ça peut marcher. Mais je n’ai jamais rencontré personne qui était capable de m’expliquer la différence entre les élèves (74 vs 72).

Changer la game

Dans un contexte de qualité, de développement ou de compétence, c’est différent. Je suis golfeur et parfois je joue 72, d’autres fois je joue 74. Mon niveau de compétence ne varie pas tant que ça. Ma performance oui. Pour changer la game, il faut changer les lunettes avec lesquelles on regarde la game. Les élèves se comparent à eux-mêmes, pas aux autres élèves. Progrès. C’est ici que le leadership et le coaching entrent en jeu. Si on veut vraiment viser le développement des élèves, il faut être cohérent. On ne peut pas enseigner la mentalité de croissance, parler de l’évaluation au service de l’apprentissage et qu’un rythme d’apprentissage lent au départ pénalise l’élève jusqu’à la fin. Bref, il va sans dire que les outils de communication et d’évaluation systémiques doivent refléter la game que nous jouons.

Il faut faire confiance aux enseignants.

Même si dans certains milieux les résultats seront différents des années passées, ça démontre à quel point on peut et on doit faire confiance au jugement professionnel des enseignants. Pensez-y. Malgré la pandémie, ils préparent les cours à partir du programme même s’il y a moins de temps cette année. Ils conçoivent la démarche pédagogique et les instruments d’évaluation du rendement. Et ils utilisent leur jugement professionnel pour déterminer la qualité du rendement des élèves. Pandémie ou non, la qualité c’est la qualité. Bref, les enseignants sont rigoureux et ils n’évaluent pas le rendement des élèves à la hausse. Or ils veulent agir sur l’apprentissage des élèves. Et si nous leur donnions d’autres moyens pour y arriver?

Contexte différent, bulletins différents

Les bulletins scolaires ne sont pas tous conçus de la même façon dans tous les milieux. Certains permettent des commentaires personnalisés. Certains ne présentent que des notes ou des cotes. Peu importe. Je crois que nous avons une occasion cette année de différencier comment nous gérons la pondération du bulletin, le cas échéant. Nous avons aussi l’occasion d’ajouter des commentaires et des messages personnalisés au bulletin ou dans l’enveloppe du bulletin afin de contextualiser pour les élèves et pour les parents les données exceptionnelles qui seront générées prochainement. En voici quelques exemples :

« Madame, Monsieur, depuis le début de cette année scolaire bien différente, le personnel de notre école travaille d’arrache-pied afin de créer un environnement sécuritaire et bienveillant pour votre enfant. Cela s’est traduit par des changements importants au niveau de l’horaire, du fonctionnement et du mode d’enseignement, entre autres. Nous vous remercions de votre collaboration, de votre compréhension et de votre soutien continus. Vous êtes un partenaire indispensable dans la réussite de notre mission éducative… Voici quelques pistes (annexe) pour vous permettre d’appuyer votre enfant dans son apprentissage… »

«Madame, Monsieur, nous vivons, vous le savez, une année scolaire bien différente. Malgré tous les efforts déployés par votre enfant et par le personnel de l’école, nous considérons que les données recueillies jusqu’à présent sont insuffisantes et ne nous permettent pas de porter un jugement professionnel éclairé au sujet du rendement scolaire de votre enfant. Nous vous invitons donc à prendre connaissance des commentaires personnalisés (annexe) qui vous permettront de discuter avec votre enfant de ses meilleures prochaines étapes afin de poursuivre sa progression d’ici la fin de l’année scolaire… »

«Madame, Monsieur, comme vous le savez, nous tentons de dispenser un enseignement de qualité pour votre enfant dans un contexte bien particulier. Nous sommes très fiers de ce que nous avons accompli avec votre enfant jusqu’à présent. Cependant, nous jugeons que votre enfant n’a pas eu l’occasion de démontrer l’étendue de ses apprentissages (ou)… les preuves d’apprentissage que votre enfant a générées ne reflètent pas son niveau de rendement habituel… données insuffisantes…»

«Nous tenons à souligner l’engagement, les habiletés d’apprentissage et les habitudes de travail exceptionnelles (ou non) de votre enfant et … pistes et prochaines étapes… responsabilités de l’élève…»

Imaginez l’impact dans votre communauté scolaire.

Alors, on fait quoi avec le prochain bulletin?

J’ai lu plusieurs articles en décembre qui abordent les données actuelles, le retard de certains élèves… Certains parlent déjà de la rentrée 2021, comme s’il n’y avait plus rien à faire cette année! Je crois que le prochain bulletin n’est pas comme les autres. C’est une occasion de communiquer formellement avec la famille et de partager notre vision. C’est aussi une occasion de donner un élan au monde de l’éducation qui ne peut pas travailler plus fort que maintenant. Encore une fois, les résultats actuels sont-ils inférieurs, égaux ou supérieurs à nos attentes compte tenu du contexte? Chose certaine, la gestion sanitaire change la réalité. A-t-on vraiment besoin de faire comme si la pandémie n’était pas là, de récolter des données et de les comparer avec les données de l’an passé? Ça servirait à qui?

Dans l’esprit de poursuivre sur la nouvelle trajectoire que nous avons empruntée depuis le début de la pandémie :

  • Le bulletin, dans son design actuel, est-il au service de l’apprentissage de tous les élèves présentement?
  • Comment les données actuelles informent-elles notre pratique?
  • Quelles opportunités s’offrent à nous pour améliorer le bulletin et notre pratique?
  • Où est notre marge de manoeuvre?
  • On veut une autopsie ou agir sur l’apprentissage?

Il reste plein de choses à faire.

Il est encore temps d’agir.

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29 Déc, 2020

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