Ça sent de plus en plus le «retour à la normale». Hier, j’ai joué au golf avec ma fille. J’ai mes deux rendez-vous pour recevoir le vaccin. L’été arrive. La piscine est prête. Les provinces annoncent leur plan de déconfinement. Et je suis tombé sur cette publicité.
C’est comique mais cette publicité traduit très bien cet ardent désir d’un retour au contact humain, au vivre-ensemble. Au «en vrai», à la liberté. Avec ou sans gomme à mâcher Extra 🙂 En nous isolant, la pandémie nous a placés face à nous-mêmes et nous a amenés à faire des prises de conscience importantes en tant que société. Mais ce sera pour un autre billet. Aujourd’hui, j’ai le goût de vous parler de la rentrée scolaire 2021-2022. Parce que qu’il y a des choses qui me préoccupent. Je ne prétends pas avoir la solution. Je vous partage en toute humilité les enjeux que je vois présentement. Écrire m’aide à amener de la clarté dans mes idées. Avec vos commentaires, je suis confiant que nous pourrons ensemble identifier des pistes d’action concrètes afin de créer une rentrée scolaire bienveillante pour tous. Pour moi, le retour à la normale, c’est le retour à l’humain. Parce que ce serait normal de placer l’humain au centre de tout ce que nous faisons en éducation.
Des écarts!?
Le système d’éducation, lui aussi, a fait des prises de conscience pendant la pandémie. Et dans l’optique d’un «retour à la normale», le système sort ses vieux réflexes. C’est normal. En effet, on entend de plus en plus parler des écarts que nous observons ou que nous anticipons et du rattrapage à faire!
- L’écart entre là où les élèves se situent par rapport à où ils en seraient dans leur apprentissage s’il n’y avait pas eu de pandémie. La pandémie a ralenti le rythme de l’apprentissage. C’est normal, ça. John Hattie dirait peut-être qu’une année d’apprentissage pour une année d’enseignement en contexte de pandémie, ça ne se compare pas à ce que nous pouvons accomplir lorsqu’il n’y a pas de pandémie. Je serais curieux de savoir à combien de mois d’apprentissage équivaut un effet de 0,40 en contexte de pandémie. 4 mois? 6 mois? 10 mois? Est-ce que ça vaut même la peine de poser la question?
- L’écart entre les élèves qui progressent bien et ceux qui progressent difficilement. À distance, nous ne contrôlons pas le milieu de vie de nos élèves. Certains élèves sont plus difficiles d’accès à distance et le contact humain, la proximité, est parfois plus difficile à créer à distance. Or avec le «retour à la normale», nous aurons bientôt accès à des stratégies de haut rendement en personne.
- L’écart entre les habiletés sociales, les habiletés d’apprentissage et les habitudes de travail en personne d’avant la pandémie et ce que nous observerons à la rentrée. Nos élèves, comme nous, ont développé de nouvelles habitudes de vie pendant la pandémie, qui inclut la nécessaire utilisation de la technologie pour socialiser avec les autres. À quoi pourrait ressembler un plan de relance pour bâtir le savoir-vivre-ensemble requis dans une communauté scolaire pour qu’il y ait graduellement un retour à l’apprentissage en profondeur? Tsé, ce que nous visons en éducation.
- L’écart au niveau de la langue d’enseignement. Pour plusieurs de nos élèves, l’école est le seul endroit où ils vivent en français. Il n’y a pas de corridors dans l’école virtuelle. Il est donc plus difficile de créer un milieu de vie en français pour nos élèves cette année. En fonction de votre clientèle d’élèves, que voudrez-vous faire dès la rentrée pour créer un milieu de vie stimulant en français?
Pour le système, il y a possiblement d’autres écarts qui seraient dignes de mention. Le système, c’est du monde. Et à notre décharge, notre réglage par défaut, l’ADN institutionnel, nous amène souvent à voir ce qui manque, à voir l’erreur pour la corriger. C’est «normal». Mais une question me vient en tête : Pourquoi voudrait-on mettre l’accent sur les écarts et sur le rattrapage?
On ne peut pas refaire sa vie. On peut seulement la continuer en acceptant la responsabilité de son devenir. – Inconnu
L’école de l’avant-pandémie n’existe plus!
Ça servirait à qui de comparer où nous en sommes présentement à où nous en serions s’il n’y avait pas eu de pandémie? Pensez-y. L’école de l’avant-pandémie n’existe plus. Il y a eu une rupture dans la progression des apprentissages prévue par le système. Il faut l’accepter. Certains experts affirment que nous en avons pour des années de rattrapage. D’autres parlent d’une génération perdue. C’est quand même incroyable. Mais nous sommes tous dans le même bateau. Imaginez l’impact sur le personnel, sur les élèves et sur les familles si le système décidait, pour la rentrée, de voir le verre à moitié vide et nous disait : «Eille la gang, nous savons que vous avez travaillé fort pendant la pandémie, mais ce n’était pas suffisant. Les élèves sont vraiment en retard. Alors, go. On veut des résultats.» Imaginez le stress que porterait le personnel, un stress qui finirait assurément sur nos élèves. Est-ce ça, le retour à la normale que nous voulons? J’ai une idée. Et si le système s’ajustait, lui, plutôt que de demander à tout le monde de se rattraper?! Et si le système nous invitait à nous attarder aux humains et à leurs acquis plutôt qu’à leurs manques? Après tout, tout le monde a appris pendant la pandémie. Et pas nécessairement ce qu’il y a programme. Pensez à tout ce que nous avons appris et à tout ce que nos élèves ont appris pendant la pandémie et qui «ne compte pas» en éducation.
Créer un climat où tout est possible
Personne ne peut contrôler les résultats des élèves. Nous le savons. Comme on ne pourra pas contrôler leur comportement, leurs acquis, les écarts… à la rentrée. Nous ne pourrons qu’accueillir tout ça. En ce sens, j’aime bien cette citation de Sir Ken Robinson : «The real role of leadership in education … is not and should not be command and control. The real role of leadership is climate control, creating a climate of possibility.» Tout ce que nous pouvons faire, c’est de créer les conditions pour que les élèves aient le goût d’apprendre avec nous et qu’ils apprennent à devenir qui ils sont. Dans l’école d’aujourd’hui, on ne veut pas contrôler les personnes, on veut les propulser. Quand une carotte ne pousse pas, on ne tire pas dessus. On crée les conditions pour qu’elle atteigne son plein potentiel. Sachant ce que nous savons de l’impact de la pandémie sur les personnes jusqu’à maintenant, je me pose la question suivante : Qu’est-ce qu’une personne raisonnable ferait à la rentrée scolaire pour créer un climat où tout est possible pour tous les apprenants?
Voici 10 idées qui me paraissent importantes pour la rentrée :
- Regarder la rentrée avec des yeux d’élève : À quoi ressemble la rentrée scolaire que vous aimeriez vivre si vous étiez élève?
- Générer des émotions positives : S’il y a une chose qui est claire, c’est que l’apprentissage est possible lorsque les émotions sont positives. Quelles actions ou quelles décisions pourraient vous aider à générer des émotions positives chez les adultes et chez les élèves dès la rentrée?
- Miser sur les relations : On enseigne quelque chose, à quelqu’un. Et ce quelqu’un est ce qui compte. On a intérêt à en apprendre le plus possible à son sujet. Les résultats ne viennent pas de l’enseignant ni du contenu : ils viennent de l’élève. Développer des relations de qualité permet de ne pas se placer entre l’élève et le contenu ou l’expérience d’apprentissage. Les relations positives nous permettent de ne pas être une barrière à l’apprentissage. C’est big. Comment pourriez-vous développer des relations positives avec tous les apprenants dès la rentrée?
- Résister à la tentation d’étiqueter les élèves : Après plusieurs mois de confinement, nos réflexes pourraient nous amener à identifier et à isoler des élèves pour leur «venir en aide». Souvent, les étiquettes servent à expliquer pourquoi certains élèves n’apprennent pas aussi bien que les autres. Ça a un impact sur nos relations, en passant. Ça annonce clairement le regard que nous avons sur l’autre. Comment pourriez-vous offrir à tous vos élèves différentes formes de soutien qui traduisent un regard bienveillant, un regard qui dit «Je crois en toi». Parce qu’ils auront tous des besoins particuliers et différents. Et c’est normal, ça.
- Adopter une mentalité d’abondance : Une mentalité d’abondance, c’est croire qu’il y a une abondance de ressources, de talents, de potentiel, de temps, d’acquis, de flexibilité, de possibilités… pour vivre une rentrée qui nous relance sur la trajectoire de l’apprentissage en profondeur. C’est croire qu’on a tout ce qu’il faut pour aller là où on veut aller. Pas convaincu? Regardez ce que vous avez accompli en équipe dans la dernière année! Qu’est-ce qui deviendrait possible pour vos élèves à la rentrée si tous les membres de votre personnel avaient une mentalité d’abondance?
- Accueillir l’embarras du choix : La pandémie nous a sortis de notre zone de confort et ne nous a pas donné le choix de nous adapter… en attendant. Avec cet éventuel retour à la normale, vient le retour au choix. Nous pourrons bientôt choisir de revenir à ce que nous faisions (confort) ou de continuer à transformer l’éducation (inconfort) pour les apprenants qui sont devant nous. Le choix. Que choisirez-vous?
- Se voir comme un coach : Un coach identifie, positionne et outille le talent. Un coach met l’accent sur le potentiel, pas sur la performance actuelle. Un coach donne de la rétroaction sur ce qui va bien afin d’amener l’autre à comprendre ce qu’il fait bien. Un coach met aussi l’accent sur les 4 P : le plus petit prochain pas, afin de faciliter le passage à l’action et de créer du momentum. Un coach met l’accent sur le processus et vise donc le progrès, pas la perfection. Un coach amène l’autre à se comparer à lui-même. Meilleur qu’hier, moins bon que demain. Un coach amène l’autre à monitorer ses habitudes quotidiennes, parce que les résultats sont hors de notre contrôle. Qu’est-ce qui vous empêche d’adopter une posture de coach dès la rentrée?
- Inclure l’apprentissage : On parle beaucoup d’inclusion dernièrement. C’est souvent fait dans le but d’inclure des personnes qui répondent à certaines caractéristiques et ou à un certain profil. En éducation, l’ultime inclusion, à mon avis, n’a pas tant à voir avec les personnes qu’avec l’apprentissage. Dans l’école d’aujourd’hui, tous les choix que nous faisons, je pense, sont faits dans le but d’inclure, non pas l’enseignement, mais l’apprentissage pour tous dans nos établissements. Qu’est-ce qui pourrait vous permettre d’inclure l’apprentissage pour tous à compter de la rentrée?
- Travailler en équipe : Dans un récent billet, j’écrivais que l’enseignement est un sport d’équipe. La prochaine rentrée va demander beaucoup de conscience, d’intentionnalité et de collaboration. Une école, c’est un milieu de vie. Et la qualité du milieu de vie est en grande partie créée par les adultes. Quel milieu de vie avez-vous le goût de créer en équipe, pour vos élèves, dès la rentrée?
- Impliquer les parents : Si nous avons appris une chose cette année, c’est l’importance de l’appui des parents. La rentrée scolaire nous offre une occasion de communiquer une multitude de choses avec les familles, dont les rôles et les responsabilités, la vision, le plan de relance… Comment pourriez-vous impliquer les familles pour assurer une rentrée scolaire réussie?
Dans l’école d’aujourd’hui, on ne veut pas contrôler les personnes, on veut les propulser. Quand une carotte ne pousse pas, on ne tire pas dessus. On crée les conditions pour qu’elle atteigne son plein potentiel. – @bourmu
Accepter la responsabilité du devenir de l’éducation
J’ai entendu quelque part qu’on ne peut pas refaire sa vie. On peut seulement la continuer en acceptant la responsabilité de son devenir. Ça a du sens. C’est toujours ce qu’on fait à partir de maintenant qui compte. En éducation, on ne peut pas revenir en arrière et faire comme s’il n’y avait pas eu de pandémie. On peut simplement continuer à essayer d’offrir une éducation de qualité à nos élèves et accepter le privilège de porter la responsabilité de l’avenir de l’éducation. La balle est dans notre camp, les amis. Je pense qu’il est temps de faire de la place à un «nouveau normal» en éducation. Un retour à l’humain, où tout est possible. On vise le progrès, pas la perfection.
Merci de vos commentaires 🙂
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